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Catherine Luelo – DSI du Canada : gérer les besoins informatiques d’une nation
Quand elle était cadre chez WestJet, Catherine Luelo a supervisé l’installation d’un nouveau système informatique de réservation. Résultat? Le changement a causé la fermeture du site de la compagnie pendant des jours.
Cette expérience a été une dure leçon, mais lui a permis d’acquérir les compétences requises pour gérer le déploiement de vastes systèmes; et pour communiquer les risques liés à ce genre d’opérations partout dans une organisation – pour que tous soient fin prêts à faire le grand saut.
Ces atouts la servent à merveille dans son nouveau rôle de DSI du Canada. Après neuf mois en poste et comme sous-ministre du Secrétariat du Conseil du Trésor, Catherine Luelo s’est entretenue avec CIO.com sur son parcours et ses nouvelles priorités : comment elle entend relever les défis que présentent la sécurité et la confidentialité des données – de même que la transition vers un Canada plus « numérique ».
Direction Ottawa
Catherine Luelo est née en Ontario, a vécu en Nouvelle-Écosse puis passé la majeure partie de sa vie adulte en Alberta. C’est là qu’elle a élevé à elle seule deux enfants. Elle a déménagé à Ottawa au printemps 2022 après plusieurs années passées au Québec
Catherine Luelo
Avant d’entrer au gouvernement, elle a occupé des postes de direction chez Telus, WestJet, Enbridge et, plus récemment, Air Canada, où elle était directrice des systèmes d’information. Au sein de la plus grande compagnie aérienne du pays, elle a supervisé la mise à jour des systèmes commerciaux et du programme de récompenses – tout ça en pleine pandémie.
« Travailler pour un transporteur aérien pendant la Covid a probablement été l’une des pires épreuves de ma carrière, dit-elle. C’était pénible d’un point de vue humain. »
Presque du jour au lendemain, les recettes d’Air Canada ont dégringolé et le modèle d’affaires a dû pivoter vers le fret. Dans les deux mois suivant le premier confinement, la compagnie a licencié 20 000 employés. Mais Air Canada a poursuivi les mises à niveau de ses systèmes, ce qui lui a permis de rebâtir sans obstacles techniques, explique l’ex-DSI.
Du privé au public : redonner au pays
La pandémie lui a également donné l’occasion de présider un comité consultatif sur l’industrie pour Santé Canada : tests de Covid, dépistage, localisation des contacts et gestion des données. La découverte des rouages du gouvernement fédéral a éveillé son intérêt pour la fonction publique et son désir d’utiliser ses compétences pour servir son pays.
« Ce n’est pas courant de quitter le secteur privé et d’entrer au gouvernement à ce stade d’une carrière, dit-elle. C’est probablement ce qui m’a rendu le saut encore plus tentant – je pense qu’il y a un réel besoin pour ce genre de transfert. »
Lorsqu’elle a atterri à Ottawa, elle a compris tout le défi qu’il y avait à être l’unique DSI pour des ministères aussi divers que la Défense, l’Immigration et les Sciences.
« L’ampleur du travail est énorme. L’astuce consiste à choisir deux ou trois dossiers sur lesquelles se concentrer – pour vraiment faire avancer les choses. »
Parmi ses responsabilités figure l’exécution de la stratégie numérique du gouvernement. Son ministère n’a pas encore publié son plan de bataille, mais elle dit que ses trois principales priorités sont la création d’une identité numérique pour tous les Canadiens, le recrutement de personnes talentueuses pour l’écosystème technologique du gouvernement, et la mise à jour de ses systèmes informatiques gravement désuets.
Une identité numérique unique
Faire avancer le concept d’une seule identité numérique qui fournirait à chaque personne un point d’accès unique aux services fédéraux constitue sa principale priorité. Elle reconnaît qu’un projet d’une telle ampleur prendra du temps, car il suppose une collaboration avec les provinces et le secteur privé – sans parler de l’adhésion des Canadiens, dont certains peuvent douter.
Selon la DSI, la création d’une telle identité équivaut à la construction d’une autoroute : elle permettrait un meilleur accès aux services grâce à un justificatif fiable que les gens pourraient utiliser chaque fois qu’ils interagissent avec leur gouvernement. Celui-ci pourrait ensuite utiliser les données recueillies pour améliorer ses programmes et services, et les adapter à chacun.
« Ne serait-ce merveilleux de pouvoir remplir sa déclaration d’impôts, réserver un emplacement de camping, obtenir son permis de pêche ou de conduire, et payer ses taxes à la municipalité – tout cela grâce à une seule identité sécurisée? demande-t-elle.
« Pensez aux informations d’identification que vous avez enfermées dans votre coffre-fort à mots de passe ou, pire, que vous avez griffonnées sur un autocollant ou dans un carnet secret… imaginez que tout cela soit chose du passé parce que vous avez désormais un moyen unique de prouver qui vous êtes. »
Tout le monde n’est pas prêt à sauter dans ce train – certains étant réticents à l’idée de mettre toutes leurs données en un seul endroit, ce qui cela soulève de lourds enjeux de confidentialité et de sécurité.
Catherine Luelo pense que pour aller de l’avant, il faudra mettre en place un système basé sur les permissions – que les gens pourraient accorder ou refuser aux organismes qui veulent accéder à leurs informations. À cette fin, elle travaille en étroite collaboration avec le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
« Le gouvernement doit être responsable et s’assurer que, si nous recueillons des données sur les individus, nous savons exactement à quoi elles serviront », dit-elle.
Remédier à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée
Une autre se ses préoccupations majeures : le manque de talents informatiques sur le marché. On trouve trop peu de diplômés ayant les compétences nécessaires pour occuper des postes dans le secteur public – qui a toujours eu du mal à attirer des spécialistes en TI. Le taux de vacance dans ce domaine atteint 30 % dans la seule région de la capitale nationale, fait remarquer la DSI.
« Nous devons vraiment nous concentrer sur les bassins de ressources non traditionnels », dit-elle.
Pour y arriver, Catherine Luelo entend faire preuve de créativité. Beaucoup de femmes ont quitté le marché du travail pendant la pandémie. Elles n’ont peut-être pas de formation technique, mais leurs antécédents pourraient s’avérer parfaits pour des postes liés, par exemple, à l’expérience utilisateur. La DSI veut aussi tirer parti du programme Échange Canada, qui permet aux travailleurs des secteurs public et privé d’intervertir leurs rôles pendant six, 12 ou 18 mois.
« Ma thèse – et l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté ce poste – c’est que si nous ne faisons pas de fécondation croisée, si on ne se montre pas les uns les autres différentes façons de travailler – la situation ne changera jamais », dit-elle.
Elle aimerait aussi que le gouvernement s’ouvre davantage au télétravail, ce qui donnerait accès à des bassins de talents d’un bout à l’autre du pays et faciliterait l’atteinte des objectifs d’embauche de personnes handicapées et d’origine autochtone.
« Du moment que vous avez une connexion internet, vous pouvez travailler », dit-elle.
Les anciens systèmes sont morts, vive les nouveaux systèmes!
La troisième priorité de Catherine Luelo est plus courante : mettre à niveau l’ensemble des systèmes informatiques – qui risquent de connaître une « défaillance critique » selon un rapport de 2020.
« Certains de nos systèmes sont plus vieux que les personnes qu’ils servent à payer, dit-elle. Un risque de défaillance critique n’est jamais quelque chose qu’un DSI veut voir dans un rapport. »
La migration des anciens systèmes est particulièrement difficile pour le gouvernement, qui doit assurer la prestation ininterrompue des services même lorsqu’il change de plateformes. Catherine Luelo tente de trouver un équilibre entre le risque lié à l’ancienne technologie et celui inhérent à son remplacement, tout en tenant compte des besoins divers de plus d’une centaine de ministères différents. Elle souhaite créer un environnement peuplé de systèmes communs, mais ne souscrit pas à l’idée que tous utilisent nécessairement la même technologie, en raison de la variété des fonctions.
Son expérience du secteur privé lui a également appris à ne pas sous-estimer les défis du changement, et l’importance d’en communiquer les risques en langage clair.
En fin de compte, la nouvelle DSI du Canada considère que son rôle le plus important consiste à faire en sorte que toutes les parties prenantes suivent le même chemin – c’est-à-dire celui du numérique.
« Nous en sommes rendus au point où ces technologies ont pris une importance incontournable… et qui n’a fait qu’augmenter au cours des deux dernières années », explique-t-elle.
Pour y arriver, elle exhorte les talents en technologie d’envisager un passage au secteur public pour travailler sur une quantité de problèmes majeurs qui doivent être réglés.
« Avec le techno-numérique, nous sommes en pleine révolution – et c’est passionnant! »