Jetlines : cap sur les nuages
La nouvelle compagnie aérienne canadienne se dirigera droit vers les nuages lors de son vol inaugural cet été, en exploitant l’intégralité de ses TI en mode virtuel.
« Tout ici est infonuagique. Nous sommes complètement « cloud ». Je n’ai absolument rien sur place, nulle part, ni en colocation », dit Robert Pope, DSI de Canada Jetlines.
Le décollage d’un nouveau transporteur de loisirs en pleine pandémie pourrait s’avérer périlleux. Mais Pope pense que l’infonuagique aidera Jetlines à faire face aux éventuelles turbulences du marché, en lui donnant une souplesse opérationnelle et en réduisant les dépenses liées à l’informatique classique.
[ Read the English version: Canadian leisure carrier Jetlines flies straight into the cloud ]
« On peut mettre en place des systèmes qui aident à automatiser les processus et à contrôler les frais, pour ensuite faire grandir l’entreprise, dit-il. On fait des économies dès le départ vu l’absence d’investissement en capital au démarrage. Et l’infonuagique nous permet d’incorporer (les coûts des systèmes) directement dans les dépenses d’exploitation – et de croître progressivement. »
Selon Bryan Terry, directeur général et responsable mondial de l’aviation chez Deloitte, l’informatique virtuelle est en train d’envahir l’ensemble du secteur aérien mondial. Et les startup ont un avantage sur les grands transporteurs car elles ne portent pas le poids de l’informatique traditionnelle, explique-t-il :
« Les nouvelles entreprises n’ont pas de dette technique. Elles partent avec une page vierge et sont plus petites et moins complexes. En fait, elles peuvent prendre l’avance sur les compagnies qui dépendent de technologies plus anciennes en implantant des solutions infonuagiques dès le départ. »
Une informatique exclusivement virtuelle
Robert Pope décrit l’informatique de Jetlines comme une combinaison de solutions infonuagiques publiques et privées – déployées et intégrées dans toutes les facettes des opérations. Le système de base provient de SysAIO, un fournisseur de logiciels d’aviation en mode SaaS situé à Ottawa. La société TRAX, basée à Miami, offre à Jetlines des solutions mobiles et virtuelles pour la gestion et la maintenance de la flotte.
Bien que Jetlines doive utiliser certaines applications traditionnelles employées par quelques-uns de ses principaux partenaires du transport aérien (Pope mentionne « des choses de type XML et de messagerie ») – tout le reste est infonuagique.
Jetlines
Cela va du recrutement et des ressources humaines au marketing et à la réservation de billets; des modules de formation des pilotes aux horaires du personnel de navigation; de la maintenance des appareils aux systèmes de contrôle des départs à l’aéroport.
« En réalité, notre environnement se résume à des commutateurs et à la connectivité aux pare-feux et à l’internet”, explique Pope. Tout est nuage et connexions API. »
Au-delà de l’utilisation du cloud pour assurer l’efficacité opérationnelle en amont, Jetlines vise aussi à exploiter l’informatique virtuelle pour l’expérience client pendant les vols.
Par exemple, les passagers de Jetlines peuvent utiliser Flymingo Box (une solution sans-fil du fournisseur français Moment) pour se connecter à un service infonuagique local et diffuser du contenu de divertissement en vol sur leurs propres appareils mobiles, au lieu d’écrans installés dans le dossier des sièges. Ils peuvent également lire un code QR avec leur mobile pour obtenir des menus en temps réel, puis commander nourriture et boissons directement de leur siège.
Jetlines est-elle la première compagnie aérienne à gérer toutes ses opérations « dans les nuages »? Terry ne veut pas faire de commentaires sur des entreprises spécifiques, mais dit qu’il y en a probablement quelques-unes dans le monde qui fonctionnent entièrement en mode virtuel.
« Est-ce que je connais une compagnie aérienne qui soit complètement dépourvue de tout système sur place? Non, mais je serais surpris qu’il n’y en ait pas », dit-il, ajoutant que tout transporteur aérien fonctionnant uniquement en infonuagique « serait généralement une petite start-up – comme nous ».
Sécurité et disponibilité
Comme pour toute technologie informatique, la cybersécurité est une préoccupation cruciale lors de l’adoption du cloud. Robert Pope explique que son contrôle a été une priorité lors de la sélection des fournisseurs infonuagiques.
« Où sont leurs serveurs? Où se trouve leur centre de données? Peuvent-ils se conformer aux règlements? Font-ils tous les audits de leur centre? Quels sont leurs protocoles de sécurité pour leur propre personnel? Vous devez poser toutes ces questions dès le départ », dit Pope.
Il énumère d’autres mesures de sécurité comprenant les appareils fournis par l’entreprise, les logiciels de gestion des données de référence, les mises à jour antivirus, les correctifs de vigilance et l’accès unique authentifié par un répertoire actif centralisé. Pope a adopté une approche de confiance zéro qui accorde le plus faible degré de privilèges au plus petit nombre d’utilisateurs possibles.
Outre la sécurité, la disponibilité est une autre question cruciale pour les transporteurs utilisant l’infonuagique.
L’an dernier, une panne d’AWS a entraîné des retards de vols, des problèmes de billetterie et des difficultés d’enregistrement chez ANA Holdings, qui exploite la plus grande compagnie aérienne du Japon. Une autre panne d’AWS en 2021 a empêché les voyageurs de réserver ou de changer de vol chez Delta Airlines. Lors d’un troisième incident l’an dernier, une panne d’Akamai a provoqué la fermeture du site web de Delta et causé des difficultés techniques sur celui d’Air Canada.
Informatique tierce
Dans un rapport publié en 2019, le Government Accountability Office (bureau de l’imputabilité du gouvernement des États-Unis) donnait l’avertissement que la dépendance croissante du secteur aérien à l’égard de services informatiques tiers augmentait le risque de perturbation tant pour les transporteurs que pour leurs clients.
« Les décisions d’investissement en TI des compagnies aériennes […] sont des décisions commerciales internes. Mais lorsque ces systèmes (tiers) tombent en panne, ils peuvent créer ou retarder des vols et entraîner des frais pour les passagers », dit le G.A.O.
Dans une étude réalisée en 2021, le Forum économique mondial a tiré la sonnette d’alarme sur la complexité et l’interconnexion accrues de l’écosystème informatique des compagnies aériennes, mettant en garde contre le risque d’affaiblissement de la cybersécurité dans tout le secteur de l’aviation.
« L’exploitation des technologies émergentes offre un potentiel énorme : plus d’efficacité opérationnelle, de meilleures décisions fondées sur les données, et une meilleure expérience et satisfaction globale du client. Ces grandes technologies s’accompagnent également d’un risque accru », ont écrit les chercheurs du FEM.
Gérer le risque
Pour atténuer les problèmes de panne et de cybersécurité liés à l’infonuagique, Terry explique que plusieurs compagnies aériennes passent au peigne fin leur principal fournisseur, mais en choisissent aussi un deuxième comme solution de rechange.
« Avec l’infonuagique, toutes les compagnies aériennes font très attention sur qui elles parient, dit-il. La plupart choisissent une première entreprise mais optent aussi pour un second fournisseur qui hébergera leur service – ce qui permet de minimiser les risques de défaillance. »
Pope explique que Jetlines utilise « une grosse connexion en gigaoctets » d’un fournisseur et dispose « d’une redondance avec une deuxième entreprise, toujours avec une connexion en gigas ». Il affirme que tout est « sauvegardé » chez Jetlines, notant que chaque solution SaaS utilisée par la compagnie (y compris Teams, Office 365, OneDrive et SharePoint) assure automatiquement la sauvegarde virtuelle des données.
Dans un récent communiqué de presse, Jetlines a changé la date cible de son vol inaugural du 1er juillet (la Fête du Canada) à « l’été 2022 ». Sa flotte d’Airbus 320 quittera l’aéroport international Pearson de Toronto pour des destinations au Canada, aux États-Unis, au Mexique et dans les Caraïbes. Ce jour-là, Jetlines décollera avec de redoutables vents contraires : la pandémie persistante, la guerre en Ukraine, une inflation mondiale et des prix du carburant stratosphériques.
La jeune compagnie doit également faire face à une nouvelle et féroce concurrence de la part de Lynx Air, un transporteur à très faible coût, qui a lancé des services domestiques de passagers à partir de Calgary en avril.
Alors que Robert Pope mise sur l’infonuagique pour permettre à l’entreprise de relever ces défis en toute sécurité, il possède un atout personnel qui pourrait dépanner n’importe quel transporteur : une licence de pilote commercial. Contrairement à la plupart des DSI de compagnies aériennes, il pourrait littéralement prendre les… commandes d’un avion et le piloter si nécessaire. Mais il ne pense pas que cela risque d’arriver dans ses fonctions actuelles.
« Je n’ai pas volé sérieusement depuis un certain temps, dit-il en riant, mais je pilote toujours de façon récréative. »
Traduction par Daniel Pérusse